5 vies d un GMC (les)

Série: Camions de films

Armée américaine, armée française, pompier, dépanneur et enfin vedette de cinéma. Voilà un curriculum bien rempli. L'affiche du film était prometteuse : elle en montrait assez pour savoir qu'il y aurait bien un beau camion et que ce serait sans aucun doute possible un GMC. Sorti en 1989, « Rendez-vous au tas de sable » n'a eu qu'un succès limité, essentiellement porté par la présence de Richard Gotainer. Quelques originaux supplémentaires ont dû aller voir le film pour le GMC, mais ils doivent se compter sur les doigts d'une main.

L'histoire tient en une ligne : un dépanneur automobile farfelu ne pense qu'à la musique et monte un groupe au talent incertain.

Quelques séquences fugitives m'avaient un peu laissé sur ma faim d'autant qu'à l'époque je n'avais pas encore désossé trois GMC et je n'avais qu'une connaissance très superficielle de ce camion. Mais le DVD vient de sortir et il m'a permis de préciser un peu ce qu'était ce camion. En l'occurrence, comme les images du film le montrent sans aucun doute possible, il s'agit d'un CCKW 353 B1, autrement dit un châssis long caisse cargo avec treuil et équipé de ponts split. Compte tenu de sa transformation en pompier, la caisse cargo est bien sûr une supposition mais les versions benne, compresseur ou encore atelier étaient trop prisées et en nombre trop limité pour être transformées.

Tel qu'il apparaît dans le film, il résulte d'une première transformation en pompier par la société Merceron de Chatellerault, la cabine double étant elle-même réalisée par Tubincendie. Le soin avec lequel l'ensemble était réalisé est remarquable : habillage des ailes avant, qualité esthétique de la vaste cabine, traitement très travaillé de la zone arrière utile qui était équipée à l'origine d'une citerne 3500 litres et, tout à fait à l'arrière du camion, d'une plateforme abaissée où se logeait une pompe mobile 30m3/h. Ces deux derniers équipements ont disparu et ont été remplacés par une grue fixe dont l'esthétique se marie très bien avec le camion.

Le film commence dans la cabine du camion ce qui permet déjà de préciser un certain nombre de points : le tableau de bord est celui d'origine avec son éclairage de blackout, mais un commodo Citroën a été fixé, comme c'était souvent le cas, sur la colonne de direction. Le magnifique volant en bois est encore là, mais le gros bouton de bakélite central du klaxon a disparu, remplacé par une simple plaque circulaire. Au lancement du moteur, aucun doute n'est permis : le merveilleux moteur à essence est toujours là ! Ensuite il bondit hors du garage et d'autres éléments apparaissent : C'est indiscutablement une version avec treuil, mais il a disparu. Celui-ci était trop précieux pour un dépanneur pour penser qu'il s'en était débarrassé. C'est donc très certainement entre sa carrière de dépanneur et sa carrière dans le cinéma que son treuil a été démonté. Sa grille de calandre est une grille « premier modèle » qui n'a pas été modifiée par l'armée française (accès au robinet de vidange du radiateur). Curieusement ses phares, qui semblent être d'origine bien que ce soit très difficile à préciser compte tenu de la qualité des images, sont restés montés sur les ailes. Ses quatre phares fonctionnent comme le montre une scène de nuit. Son Hydrovac fonctionne également parfaitement puisqu'on a une scène où les essieux arrière se bloquent et glissent sur un bon mètre. La grue également est une très belle réalisation tout à fait authentique comme me l'a confirmé un ami qui a bien connu le camion.

La seule modification des producteurs semble être l'ajout de faux rivets un peu partout, probablement pour l'effet esthétique que cela procure. Très curieusement également, deux tampons de chemin de fer sont fixés à l'arrière de la caisse : difficle de dire si c'est une invention des producteurs pour augmenter l'effet étrange du véhicule ou bien s'ils avaient été installés pour la dépanneuse, ce qui pourrait aussi se concevoir. Toujours est-il qu'on ne peut finir que sur ce triste constat quant à notre patrimoine industriel : cet engin magnifique, chargé de tout une histoire, la grande comme la petite, représentatif d'années de reconstruction du pays après les dévastations de la guerre, cet engin qui était en parfait état de marche mécanique et électrique a fini en tas de ferraille d'un côté et en tas de pneus fumants de l'autre... C'était vers 1995 .

Si à l'époque j'avais été dans le circuit de la préservation et que j'avais eu connaissance de l'indifférence générale pour cet engin hors du commun, je suis bien sûr que j'aurais été capable de n'importe quelle folie pour le préserver ! Comme il aurait sa place aujourd'hui dans notre Musée ! Si « Rendez-vous au tas de sable » ne restera pas dans les annales du cinéma comme un chef d'oeuvre, au moins ce film aura-t-il eu le mérite de fixer sur la pellicule les derniers moments de ce valeureux vétéran. L'équipe de tournage a-t-elle jamais eu conscience du trésor qu'elle avait entre les mains ? Ponts split et dépannage farfelu sont au menu...

Photos tirées du fim: "Rendez-vous au tas de sable". Texte et mise en page de Pierre Phliponeau. Adaptation au site de Eric Dupuy.