Dejou, une entreprise perdue

Ils sont aux jouets en bois ce que sont les Dinky Toys aux camions miniatures : une référence qui en fait aujourd'hui des objets de collection dont les prix s'envolent.  Le succès des Dinky Toys tenait à la qualité de leur réalisation, à la finesse de leur gravure et à l'exactitude de leurs proportions (le plus souvent du moins), toutes qualités qui parvenaient à faire passer remarquablement bien l'approximation que constituait souvent les roues, notamment (a-t-on jamais vu un Citroën 55 laitier dans les rues parisiennes avec des gros pneus military tels que proposés par Dinky Toys sur son modèle, d’ailleurs repris par la reproduction fidèle de Dan Toys sortie cette année ?).  Les camions Dejou jouent sur un autre registre : une simplification à l'extrême mais un équilibre général qui fait que "l'oeil est content".  Le gros porteur est emblématique de la marque : Il n'est constitué que de

quelques panneaux de bois et n'est agrémenté d'aucune fonctionnalité, d'aucune fioriture.  Pas de portières ouvrantes (pas de portière du tout à vrai dire), pas d'aménagement intérieur, pas même un volant pour suggérer le poste de conduite qui n’a d’ailleurs pas de plancher, pas de hayon arrière ouvrant, mais un style épuré et esthétique qui rappelle la simplicité de ligne du design nordique.  C'était aussi une ligne assez futuriste et très réussie si on considère que ce camion a été dessiné vers 1958.  Regardé de face, on ne peut que penser à la cabine Cottard des Willeme.  Il est beau comme un camion !  Sous d’autres angles il fait irrésistiblement penser à la bouille arrondie des Latil H16, impression encore renforcée par sa calandre suggérée par trois barrres d’aluminium.  On peut aussi se demander si son concepteur ne revenait pas d’un voyage en Italie tant sa calandre et son avant arrondi font penser aux camions Alfa-Romeo 950.  C’est ça le génie de ces objets qui traversent les âges : exercice périlleux mais réussi, il propose une transition, une habile synthèse, entre deux époques.  Celle finissante des grosses cabines rondouillardes (Latil), et celle émergente des lignes futuristes (toit plat Cottard en rupture avec les générations précédentes).  Un élément de modernisme qui contribue à rendre leur ligne futuriste est leur pare-brise : ce n’est que bien plus tard que les vrais camions abandonneront les pare-brise en deux parties.  Leur allure générale suggère une robustesse que l’usage ne démentait pas et qui correspond bien à l’idée que tout un chacun se fait d’un camion.  Son vaste plateau qui semble effectivement pouvoir accueillir une charge importante constitue une invitation irrésistible au transport.  Il était certainement de nature à faire naître une vocation de transporteur dans une jeune cervelle !..  Une Dinky-Toys, c’est chouette, mais ça ne transporte rien.  Un Dejou, ça peut emporter de la charge jusqu’au tas de sable du squarre !... Ils étaient si robustes que beaucoup furent les skateboards de l’époque !   Heureusement, un accident de freinage ne conduisait alors généralement qu’à des genoux égratignés… ci-dessous un Alfa-Romeo 950 de 1958

Leur cote ne cesse de monter dans les enchères sur internet, ils ont allègrement franchi la barre des 100€ pour un camion en bon état et ça n'est pas fini car on assiste à une véritable "Dejoumania" : ils apparaissent de plus en plus dans de très chics revues de décoration par exemple.  Un bon gros jouet en bois des années cinquante bien en évidence dans un vaste et luxueux séjour, exhibant ses bois colorés aux allures de bois exotiques, c'est tendance bien sûr !

Certains modèles plus rares donc très recherchés par les collectionneurs partent à 200€, voire plus. Il faut dire qu’ils étaient vraiment beaux ces camions.

Mais au fait qui était ce constructeur français aujourd'hui disparu? A l'origine, on trouve un fabricant de meubles établi à Arpajon sur Cere, près d'Aurillac dans le Cantal. Au milieu des années 30, l'entreprise décida une diversification qui la conduisit à modifier ses machines chaque année pendant une période précédant Noël afin de produire des jouets en bois. Avec une première production ayant pour thème un "attelage auvergnat", le succès fut immédiat. Ce sont finalement 300.000 jouets en bois qui furent produits, beaucoup de camions, mais aussi des locomotives, des grues ou encore des meubles de poupée: une centaine de modèles différents au total qui font aujourd'hui la joie des collectionneurs. Hélas, l'entreprise n'a pas su s'adapter aux évolutions et a cessé son activité en 1985.

J’invite les curieux à visiter un site internet remarquable qui est consacré aux productions Dejou.

 

 

Texte et photo de Pierre Phiponneau