La Voie Sacrée

La logistique et son histoire

Borne voie sacrée

La première manifestation d'une logistique organisée est française : Ce n'est hélas que dans des circonstances dramatiques que les individus et les collectivités , sans doute poussées par l'instinct de conservation, trouvent « les solutions originales qui vont changer la face des choses...»

La première guerre mondiale a été le révélateur du génie destructeur des hommes correspondant en tout point au génie des moyens de survie. voie Le tout premier acte de logistique utilisant les moyens automobiles d'une industrie naissante a été bien sûr l'épopée des Taxis de la Marne lorsque le général Galiéni a utilisé les 5000 taxis parisiens de la G7 que lui offrait le Comte Waleski alors propriétaire de la compagnie.

La « VOIE SACREE » reste sans conteste le fait révélateur d'une organisation rationnelle et appliquée d'une logistique moderne qui n'avait pas encore ce nom, mais force l'humilité de constater que nos grands « anciens » en avaient dans le cerveau et ailleurs ! Nous reproduisons intégralement le texte du nouveau livre d'Henri de WAILLY, historien et homme du monde du transport et de l'automobile, « Camions Français 1880 - 1980 » (Ed ETAI).

Verdun , 21 février 1916 , 6h45

Un bombardement d'artillerie d'une violence inouie s'abat soudain sur les positions françaises .Il y a des milliers de tubes. L'avalanche dure neuf heures. La bataille de Verdun commence...

L'objectif de cette offensive est considérable. L'état major allemand veut « saigner » l'armée française. Pour lui , cette bataille est décisive. Pourtant ,malgré l'éffrayante densité et la durée du tir, malgré cette avalanche de fer, des poilus à moitiè sonnés ressortent des trous au moment où démarrent les vagues de l'infanterie allemande et ils les bloquent !

La bataille va durer six mois. Au total, toutes nations confondues.

800 000 combattants vont mourir.

Dès le début , Verdun , presque isolé, est menacé. Pour y faire parvenir des troupes , des canons, des munitions et des vivres, un seul moyen pour les français : le petit chemin de fer à voie étroite, le Meusien, qui venant de Sainte-Menehould, rejoint la citadelle assiègée. Les allemands, naturellement, le bombarde et détruisent les convois à plusieurs reprises. On maintient la ligne, mais seuls les vivres passent par là (800 tonnes par jour). Pour les hommes c'est trop dangereux.

Reste la route. Seul passage disponible hors d'atteinte ennemi, la départementale de Bar le Duc à Verdun va devenir la clef de cet affrontement gigantesque. Le 26 février, routele général Pétain , qui a pris le commandement du front de Verdun, estime qu'il faudra acheminer 2000 tonnes de munitions par jour et ravitailler en vivres et matériel 15 à 20 divisions ! Pour assurer les relèves, il faudra transporter 15 000 hommes par jour.

carte

Chargé des approvisionnements, le commandant Doumenc assure que l'on peut y arriver, sous réserve absolue que le service automobile soit maître de la route. Une commission régulatrice automobile est immédiatement instaurée, qui aura tout pouvoir sur la circulation. Utilisée depuis août 1915, la départementale a été élargie à 7 métres de large, de sorte que deux files de camions, celle qui monte et celle qui descend, peuvent se croiser facilement.

Pas de croisements, pas d'arrêts : c'est déjà une voie rapide .Dès le début de la bataille , le commandement a bien compris que, si un seul véhicule à cheval pénétrait sur la route les convois s'arrèteraient. Piétons et chevaux sont donc interdits. On prévoit d'emblée un accident pour 100 véhicules et l'on fait stationner en différents endroits 30 dépanneuses. Si un obus ou une bombe d'avion fait un trou dans la route, des équipes la remettront immédiatement en état. D'un bout à l'autre des 75 kilomètres de l'itinéraire, les camions ne pourront circuler qu ‘en convois de 10 véhicules à vitesse imposée. Seules les sanitaires et les voitures de tourisme pourront les doubler. Aucun arrèt ne sera toléré. Un véhicule arrèté sera poussé sur le coté, au besoin dans le fossé. On verra ainsi des épaves, celles des véhicules en panne et celles des camions qui ont dérapé et se sont renversés. on en verra brûler...

Dès le 25 février, 3000 camions, la plupart des 2 à 3 tonnes de charge utile, commencent une noria qui tournent immédiatement à plein jour et nuit, deux flots se croisent en cahotant, dérapant sur le sol glacé.

« Sur la route, écrit George Blond, transitaient les troupes, le matériel, les munitions,.Il y avait aussi des ambulances, les camionnettes du courrier, du génie, de l'artillerie, de l'aviation, des transmissions, du camouflage, ainsi que des autos canons et des autoprojecteurs. 6000 véhicules de toutes sortes par 24 heures. On avait l'impression d'une brillante réussite, pourtant improvisée, tout à fait dans le style français » .

Les mains enduites de vaseline, à cause du froid...

C'est février et le froid est intense. Leurs mains enduites de vaseline, mais couvertes d'engelures, emmitouflés jusqu'aux oreilles, les yeux rouges , les conducteurs font preuve d'une endurance exceptionnelle. Du 25 au 27 février, certains conduisent pendant 15, 18 et quelque fois 24 heures d'affilée. Un chauffeur, signale Georges Blond, restera habillé du 22 février au 8 mars. Lorsque, de temps en temps, ils mangent quelque chose, c'est en tenant le casse croûte d'une main, l'autre restant sur le volant . La nuit, ils roulent phares allumés, les bombardements par avion étant rarissimes. La file des éclairages forme une chenille lumineuse. Dans un charroi frénétique, en 5 jours, l'armée de Verdun est portée de 150 000 à 800 0000 hommes !

Sur les 56 kilomètres de Bar le Duc à Verdun, le trafic absorbera au total 800 ambulances, 200 autobus, 500 tracteurs d'artillerie, 2000 voitures et 4000 camions. En mars, les jours de pointe, on comptera jusqu'à 6000 camions par jour -un véhicule toutes les 14 secondes -et en octobre 1916, lors de l'attaque sur Douaumont, le chiffre fantastique d'un véhicule toutes les 5 secondes sera atteint !

obus

Jules Romain a décrit le spectacle :

« La route grondait de ses deux files de camions bondés de troupes qui progressaient en sens inverse comme deux chaînes énormes. Le double convoi s'allongeait jusqu'aux deux extèmités du village et continuait indéfiniment. Chaque camion, son capot à quelques pas de l'arrière du camion précédent, avancait à demi vitesse, se dandinant, grognait de tous ses engrenages, trépidait de toutes ses tôles, autour de sa charge d'hommes silencieux. Le bruit était si vaste, et fait de l'addition de tant de bruit semblables, qu'on ne le rapportait plus aux véhicules en particulier . C'était le bourg entier qu'on écoutait trembler comme le carter d'un mécanisme ... Il y avait des chapelets de tas de pierre et, près de chaque tas, un territorial qui, muni d'une grande pelle ,envoyait de temps en temps une pelletée sous les roues des camions, un coup de pelle plus court pour la file montante, un coup plus long pour la file descendante. L'air sentait l'huile roussie et la pierre écrasée ... »

Tout allait bien jusqu' à ce que le soleil , hélas s'en mêle !

Vers midi, le 28 février, le plafond bas des nuages immuables, gris, sinistre depuis des jours, commença à changer, et bientôt il se déchira .Le soleil se mit à briller. En moins de deux heures, des centaines de coup de téléphone alertèrent la commission routière : le sol commençait à fondre ... un réchauffement serait catastrophique ! Si le sol, durci comme la pierre par le gel, se ramollissait, travaillé par les roues, il faiblirait. Déjà des ornières se creusaient, qui se remplissaient d'eau, et sans prise dans la boue épaisse, les bandages de roues patinaient ...

Partout le rythme faiblissait. On avançait à dix à l'heure. Descendus à terre, les soldats poussaient leurs camions dans une pâte qui se liquéfiait. Par endroits, des lacs se formaient. Des autocanons, les plus lourds, finirent par s'embourber, bloquant bientôt le passage. Quand le jour tomba, un désastre se dessinait : le système qui ralentissait, allait s'arrêter. Si la boue gagnait du terrain, c'en était fait de Verdun !

Pétain donna soixante douze heures à Doumenc pour rétablir le trafic ! L'ennemi, cependant, continuait d'attaquer. On le contenait encore, mais comment résister si le front n'était plus nourri ? Il fallait rétablir la vitesse maximale. Il fallait refaire la route. Mais comment ? Comment amener des cailloux et des rouleaux compresseurs ? D'ailleurs, il n'y avait pas plus de cailloux que de rouleaux. Pas un tas le long de la route ...Pétain donna l'ordre d'ouvrir des carrières et pour les exploiter, on mit au travail des civils et des milliers de territoriaux, ces soldats trop âgés pour combattre, mais assez costauds pour pelleter ! peperes

Les « pépères » , disait on . Ces « pépères » et leur pelles vont sauver Verdun et maintenir la route ouverte. Barbus, en vieux képis, couverts de boue, on les vit bientôt apporter des carrières des tas de pierres tout au long de l'itinéraire où d'autres pépères les jetaient dans les fondrières. Les bandages des camions les écrasaient comme l'auraient fait des rouleaux. Le trafic pu ainsi reprendre... La pierre était tendre et la route, sans cesse se défaisait. Si les camions l'écrasaient, ceux qui suivaient la chassaient. Après plusieurs passages, la route à nouveau se creusait!

Pétain, encore, donna l'ordre: « La réfection de la route ne doit plus s'arrêter. Elle doit continuer , durer comme le trafic, vingt quatre sur vingt quatre , autant de jours qu'il faudra » !

Et, les territoriaux, par bordées , piochèrent , transportèrent , mirent en tas et pelletèrent la fragile pierre sous les roues des camions qui sans cesse défilaient. Seize bataillons de travailleurs , ( 8 200 hommes ) entretinrent ainsi 75 kilomètres de route ! On estime qu'en dix mois, ils jetèrent dessus entre 700 et 900 000 tonnes de pierres. Grâce à eux, durant sept mois, 12 000 hommes et 2 000 tonnes de matériel en moyenne défilèrent quotidiennement sur l'itinéraire unique .

Finalement, la bataille, qui coûta cher, fut gagnée et le général Ludendorff, qui dirigeait la stratégie allemande, écrira : « La victoire française de 1918 est la victoire du camion français sur le rail allemand »

Les camions, ainsi, firent une entrée fracassante dans l'Histoire. Le service automobile avait démontré le rôle désormais incontournable du transport motorisé. Avec le temps, qui prend sa revanche sur l'histoire, on ne peut qu'avoir le vertige sur l'inutilité d'un tel gâchis d'hommes, d'énergie et de matières . Et en plus, cela allait recommencer vingt ans après !

Jean-Claude Accio

Nous avons sélectionné des sites sur la Voie Sacrée:
  • www.a525g.com/histoire/bataille-verdun.htm , un site sur la bataille de Verdun.
  • First World War.com , un site très complet sur la première guerre mondiale mais fait par des anglais sans version française.
  • voie-sacree.com , exclusivement sur la Voie Sacrée.

     

  • verdun/liens.htm L' auteur dédie sont site à son grand père, LEON. Textes en français, lettres, photos, je n' ai pas réussi à faire fonctionner les 2 videos. Une page donne accès à 16 sites traitants de la Première Guerre Mondiale dont :
  • geocities/sander84 : nombreuses images mais non situées (texte en anglais)
  • multimania : très nombreuses photos ( attention aux âmes sensibles ) texte en français.
  • geocities/rackow1916 : photo de fort Belrupt de 2003, le liens retour ne fonctionne pas lors de l' essai, site en allemand.
  • lib.byu.edu : Tout en anglais
  • verdun-douaumont.com : spécialisé sur l' ossuaire avec une vue panoramique de la principale partie du champs de bataille de Verdun. Des liens très pédagoqgiques, des accès à de très nombreuses photos dont une en relief si vous la trouvez et si vous y arrivez.
  • members.aol.com/cfmult : les saisissantes photos des 9 villages détruits au nord de Verdun.
  • perso.wanadoo.fr/memorial.14-18 : site du mémorial de Verdun.
  • 1914-18.org : interressant pour les biographies des hommes.
  • canonde75 : Tout sur ce canon, son environnement plus une galerie de photo de l' armée, avant la guerre.

Je n' ai pas pu accéder aux autres liens. Si vous le désirez, vous en avez pour la journée et je vous promet un bon cafard... s' il vous reste quelque émotivité.